Le Festival du film arabe de Lisbonne (LAFF), au Portugal, a bouclé avec succès sa première session. C’est une nouvelle naissance dans le cinéma et une plateforme du cinéma arabe en Europe. Il s’ajoute à la carte des festivals de films arabes en Europe et est considéré comme un dialogue culturel et l’un des ponts de communication avec le monde. Le journal «Maghreb Info» a rencontré la co-directrice de ce festival, Saoussen Khalifa
Entretien réalisé par Tahir Messefek
Qui est Saoussen Khalifa ?
Je suis franco-tunisienne et co-directrice du Festival du film arabe de Lisbonne et j’habite à Lisbonne (Portugal) depuis 5 ans. Interprète de conférence de formation, je suis passionnée par l’art dans toutes ses expressions, musique, danse et, bien sûr, cinéma.
Le Festival du film arabe de Lisbonne est un nouveau-né cinématographique. Il a enseigné avec succès et s’est spécialisé dans le cinéma arabe dans un pays européen comme le Portugal. En tant qu’expatriée, comment vous est venue l’idée de créer un festival du film arabe, surtout dans ce petit pays ?
En arrivant au Portugal, j’ai très vite remarqué qu’il y avait des liens étroits entre ce petit pays et le monde arabe. Des liens historiques, bien sûr (plusieurs siècles de présence arabe), qui se reflètent très clairement dans la langue, l’architecture, la gastronomie, les valeurs … Mais bien que visibles, ces influences sont très peu reconnues, analysées, conscientes. Et, bien souvent, les gens ont une connaissance très limitée, stéréotypée du monde arabe. Le Lisbon Arab Film Festival (LAFF) est né de ce double constat et d’un fort désir de renforcer la visibilité du monde arabe au Portugal et de promouvoir le dialogue interculturel à travers le langage universel du cinéma.
En tant que co-directrice du festival, quels critères adoptez-vous pour diriger le comité de visionnage des films dans la sélection des films qui ont été sélectionnés pour participer à la compétition officielle du festival ?
Le choix minutieux des films que nous avons retenus pour cette première édition du LAFF repose sur plusieurs critères : un équilibre régional (films du Maghreb et Moyen-Orient), un équilibre des genres (fictions, documentaires, thrillers, drames…), des films récents qui présentent une réalité du monde arabe, des films primés/sélectionnés par d’autres grands festival internationaux (Cannes, Berlin, Venise, Locarno, Marrakech, JCC, RedSea festival, Rotterdam, Malmö…) et, dans la mesure du possible, des films qui n’ont pas encore été diffusés au Portugal.
Combien de films ont participé à la première session du festival et comment le public et les cinéphiles ont-ils interagi avec ces films ?
Pour cette première édition, nous avons sélectionné 10 films de différents pays du monde arabe (Tunisie, Maroc, Algérie, Liban, Jordanie, Palestine, Arabie Saoudite…). Pour l’Algérie, le titre «Abou Leïla» d’Amin Sidi Boumediene a été retenu. Sans éviter les questions sensibles, ces films abordent des problématiques sociales inhérentes à la condition humaine, telles que l’émancipation, la liberté, les luttes sociales, les droits humains, l’environnement, tout en mettant l’accent sur certaines caractéristiques propres aux pays du monde arabe. Et je pense que c’est ce qui a attisé la curiosité de notre public. Les salles étaient pleines tous les soirs ! Notre festival a donné accès au public à des réalités nouvelles à travers des fictions captivantes, y compris du point de vue de l’esthétique cinématographique (plans, couleurs…). Nous avons également proposé à notre public deux évènements gastronomiques (réceptions avec spécialités de différents pays arabes) et un débat après la projection du film palestinien «Bye Bye Tibériade».
Chaque festival international du film a besoin d’un soutien financier. Quelles sont vos sources de financement et comment le Festival du film arabe de Lisbonne reçoit-il un soutien financier ?
Le succès de cette première édition a été assuré malgré des moyens très limités. Nous avons dû nous battre pour nous faire une place dans le paysage cinématique de Lisbonne et gagner la confiance de nos interlocuteurs. Notre partenaire principal, co-producteur du festival, est le prestigieux centre culturel Culturgest de Lisbonne. Nous avons aussi obtenu l’appui de la municipalité de Lisbonne, d’ambassades arabes, d’offices du tourisme et de quelques entreprises. Nous avons aussi organisé des évènements pour lever des fonds.
La première session du festival vous a montré de nombreuses visions d’avenir pour la création d’un festival international. Qu’y a-t-il de nouveau dans la prochaine édition du Festival du film arabe de Lisbonne ?
Pour la prochaine édition du Lisbon Arab Film Festival (LAFF), en plus de la section principale de films contemporains, une section de rétrospective sur le cinéma arabe sera proposée, en partenariat avec la Cinemateca Portuguesa. Nous comptons également inviter les réalisateurs et acteurs des films à animer des sessions de Q&A après les projections et organiser des tables rondes (workshops) avec des professionnels du monde du cinéma et une série d’évènements parallèles (musique, gastronomie…).
Après la clôture de la session fondatrice du Festival du film arabe de Lisbonne, qui deviendra inévitablement l’un des ponts de communication culturelle au Portugal, et pour atteindre une renommée aux niveaux arabe, européen et international, on attend davantage de vous et il y a encore du travail à faire. Que pensez-vous d’ici la prochaine édition et quand aura-t-elle lieu ?
Notre vision est de devenir une plateforme annuelle de référence présentant l’excellence du cinéma arabe au Portugal. Il reste beaucoup à faire mais, vu l’intérêt qu’a suscité la première édition, nous sommes confiants pour les années à venir. La prochaine édition devrait se tenir en 2025 à la même période (dates à confirmer, NDLR).
Enfin, quelle est votre opinion sur les conditions du cinéma arabe et votre évaluation de ces conditions ?
L’industrie cinématographie arabe n’est pas nouvelle et plusieurs grands réalisateurs tels que Youssef Chahine ou Ferid Boughedir ont marqué son histoire, y compris à l’international. Mais, depuis une dizaine d’année, le cinéma arabe est en pleine explosion, et de nombreuses œuvres poignantes ont obtenu de prestigieuses reconnaissances et l’adhésion du public. Parmi bien des exemples, on peut mentionner «Les filles d’Olfa», «Sous les figues», «La conspiration du Caire», «Everybody Loves Touda» qui sont au programme de notre festival. Ce sont des œuvres osées, captivantes, profondes et d’une exceptionnelle sensibilité et justesse de ton, et c’est très prometteur pour l’avenir du cinéma arabe.