La Journée internationale des archives, célébrée chaque année le 9 juin, est l’occasion de souligner l’importance cruciale des archives dans la préservation de notre patrimoine, historique et culturel.
Instituée par le Conseil international des archives (CIA) en 2008, cette Journée vise, à sensibiliser le public et les décideurs, à la nécessité de conserver et de valoriser les archives. A cette occasion, nous nous penchons sur un dossier particulièrement, sensible et complexe : les archives, entre l’Algérie et la France. Les archives, relatives à la période coloniale française en Algérie, (1830-1962), sont au cœur de nombreux débats et tensions, entre les deux pays. Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, la question de la restitution de ces archives, constitue un enjeu majeur, dans les relations bilatérales. C’est une question complexe, mêlant des enjeux de souveraineté, de Mémoire nationale et de recherche historique.
Pour l’Algérie, ces archives sont cruciales, pour reconstituer et comprendre son Histoire nationale, et pour le travail de ses historiens. Pour davantage de précisions, à ce sujet, nous avons pris soin de prendre contact avec Mohamed Lahcène Zeghidi, historien émérite et co-président de la Commission conjointe algéro-française, dénommée «Histoire et Mémoire».
«L’Algérie est en train de mener une bataille, concernant la récupération des archives»
A ce sujet, notre interlocuteur, qui passe pour être une voix très écoutée, dans ce chapitre qui fait de l’ombre à la relation entre les deux pays, a affirmé que «l’Algérie est en train de mener une bataille, concernant la récupération des archives nationales, pour laquelle a été instituée d’ailleurs, la Commission algéro-française, pour la Mémoire et l’Histoire, suite à la rencontre au sommet, entre les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emanuel Macron, au mois d’août 2022».
Et d’appuyer sa thèse en révélant, que «plusieurs kilomètres linéaires d’archives, concernant cette période de la colonisation, sont encore stockés dans différents Centres, Institutions et Musées français».
Pour cela, «la Commission ‘’Histoire et Mémoire’’, qui dépend directement du président de la République, duquel elle reçoit des orientations et des directives, a réussi, depuis son installation à ce jour, à récupérer deux millions de documents, concernant cette période et nous continuerons à revendiquer la restitution, de la totalité des archives nationales se trouvant en France», a indiqué notre interlocuteur.
«La dernière rencontre, entre les membres de cette Commission mixte, a permis de situer et d’identifier, tous les Centres où se trouvent les archives nationales, à travers la capitale française et ses villes périphériques», a-t-il ajouté. Ce qui est, tout de même, de bon augure pour la récupération totale des archives, détenues par la France.
«La France coloniale visait, à priver les Algériens d’écrire leur propre Histoire»
Par ailleurs, l’historien Mohamed Lahcène Zeghidi reste fondamentalement convaincu, que «ces archives sont un patrimoine algérien, qui a été pillé, mais ceux qui l’ont fait, visaient précisément à priver les Algériens, des instruments de l’écriture de leur propre Histoire».
Interrogé sur les revendications de la Commission mixte, au sujet de la restitution de l’ensemble des archives et des symboles de l’identité nationale spoliées par la France, notre interlocuteur a affirmé, que «concernant les archives, la Commission nationale a placé au centre des revendications, la restitution de 5 mètres linéaires d’archives de l’Algérie, à l’époque ottomane, et la remise de 2 millions de documents numérisés des archives nationales, d’outre-mer. Tout comme elle s’est attelée à définir la période, la nature et la typologie, de ces archives et documents numérisés».
«La Commission mixte s’est également accordée, sur la nécessité et l’utilité, de définir un ordre de priorités, dans la numérisation des fonds d’archives, à commencer par les archives militaires et diplomatiques, du XIXe siècle», a-t-il ajouté.
«La partie algérienne de la Commission a proposé une liste ouverte de biens symboliques, comme ceux ayant appartenu à l’émir Ahmed Bey, et à d’autres personnalités algériennes, (à titre d’exemples, l’épée, le burnous, le Coran, la tente et les canons de l’Emir, la tente d’Ahmed Bey, la clé et les étendards de Laghouat, les canons, etc…), en vue de leur restitution», a-t-il souligné
«L’Algérie ne renoncera jamais, à sa demande de la restitution de ses archives»
Ce qui est certain pour notre interlocuteur, c’est que «l’Algérie ne renoncera pas, à sa demande de restitution de ses archives détenues par la France. La génération, actuelle et celles qui lui succéderont, demeureront attachées à la demande de la restitution, de toutes les archives nationales se rapportant à plusieurs périodes, de notre Histoire détenues par la France. Il n’y a pas chez la partie française, de réelle volonté de clore ce dossier définitivement».
Pour sa part, pour l’avocate et experte en droit de l’Histoire, Fatma Zohra Benbraham, «l’Algérie est dans son droit, le plus absolu, d’exiger de la France, la restitution de la totalité de ses archives spoliées, et dont une grande partie se trouve chez elle, mais les officiels qui se sont succédé, ont toujours avancé de faux prétextes, comme la déclassification de nombre d’archives, pourtant réunies depuis plusieurs décennies».
«La question est immuable, car le passé ne saurait être effacé, ou oublié»
Pour notre interlocutrice, «les demandes de la partie algérienne, sont claires et ne nécessitent pas de concertations. La question est immuable, car le passé ne saurait être effacé, ou oublié».
Dans le même contexte, l’avocate Fatma Zohra Benbraham estime, qu’«il s’agit, là, d’une guerre de mémoire, que la France veut gagner par l’oubli, alors que, pour nous, il s’agit de mener une guerre contre l’oubli». Et de préciser à ce sujet : «Nous allons la gagner, grâce à la compétence des spécialistes et experts, de la question des archives. La restitution des archives, nécessite d’abord une volonté politique, mais, auparavant, il s’agira d’un travail juridique de fond, sur cette question à mener au préalable.»
Pour notre interlocutrice, «il y a, certes, des archives compromettantes, mais celles concernant l’état civil des Algériens, celles du dossier sur les essais nucléaires, dans le Sud algérien, nous sommes en droit total, de les avoir d’autant plus que des lois ont été votées en France, sur la levée du secret défense».
«Toutes les Lois et Législations internationales stipulent clairement, que les archives appartiennent au territoire, dans lequel elles ont été produites, mais la France tente de se dérober à ces textes internationaux, en promulguant des Lois de contournement», a-t-elle souligné.
«Ecrire l’Histoire de l’Algérie, par des plumes algériennes»
Se voulant très pertinente, sur la question de la récupération des archives algériennes détenues en France, l’avocate Fatma Zohra Benbraham a rappelé, que «la question des archives, est un vieux contentieux, bloqué depuis des décennies». «Il faut récupérer ces archives, et écrire l’Histoire de l’Algérie, par des plumes algériennes. La récupération de nos archives, conservées par la France, est une nécessité urgente», a-t-elle souligné.
Notre interlocutrice n’a pas manqué d’exprimer ses craintes, qu’«elles puissent être falsifiées, étant donné qu’elles sont toujours entre les mains, de ceux qui ont écrit et altéré la vérité».
Et de conclure son analyse en appelant, à «accorder un intérêt particulier à l’Histoire nationale, et à veiller à recueillir les faits historiques de leurs auteurs, afin de la sortir de l’école coloniale».