Béjaïa, l’ex-capitale du royaume des Hammadides occupe le peloton de tête en matière de biens culturels classés (sites et monuments historiques). Elle compte 39 biens culturels, dont 14 classés patrimoine national et 23 autres inscrits sur l’inventaire supplémentaire de la wilaya.
Concernant la mosquée Ibn Khaldoun, longtemps restée fermée, elle a été rouverte à l’occasion de ce mois de Ramadhan après des travaux de réfection qui lui ont rendu son faste d’antan. Très attendue par les autochtones, cette mosquée, dans laquelle l’érudit lui-même y a officié en tant qu’imam et jurisconsulte en 1365, pourrait recevoir les fidèles pour l’accomplissement de leurs prières dans un endroit mythique et chargé d’histoire et qui, à lui seul, rappelle tout le passé flamboyant à la fois cultuel, culturel et scientifique de la ville de Béjaïa et de ses environs, notamment au Moyen Âge, théâtre alors d’une effervescence intellectuelle universelle de premier ordre.
Outre Ibn Khaldoun, considéré comme le père de la sociologie et le maître de la philosophie de l’histoire et qui, de surcroit, avait fourni des œuvres majeures en mathématiques, le lieu avait abrité et accueilli d’innombrables savants de haut vol. Il s’agit notamment du mathématicien Italien Léonardo Fibonnaci (1170-1250) qui a introduit, après son séjour scolastique à Béjaïa, les chiffres arabes d’abord à Pise (Italie) puis dans tout le monde occidental, du sociologue espagnol Raymond Lulle, de Sidi-Boumediene, Ahmed Bendriss, El Waghlissi et tant d’autres sommités, qui avaient marqué alors de leurs empreintes cette époque, remarquable par ses percées scientifiques et intellectuelles.
Dans ce contexte, la mosquée, située au cœur de la Casbah, y occupait une place prépondérante, en tenant naturellement un rôle spirituel certes, mais servait aussi de cercle intellectuel et de lieu de débats entre les savants qui s’y rencontraient dans une atmosphère détendue et d’inspiration.
L’ouvrage, de construction hafside au XIIe siècle, a été érigé au milieu de jardins éclatants, sur un superbe monticule, ouvert dans un décor à couper le souffle, sur la mer et les montagnes verdoyantes de la sainte Lalla Djoua, sœur de Yemma Gouraya, qui la bordent juste en face. A l’évidence, la construction a perdu de sa superbe au fil des guerres, notamment durant la conquête espagnole en 1510, où elle a échappé de justesse à la ruine.
Au XVIIe siècle, durant la période ottomane, le régent d’Alger Mustapha Pacha a essayé tant bien que mal de la restaurer mais ses efforts n’ont pas abouti, car ayant été stoppés par l’intrusion coloniale française qui a dû la vouer à d’autres misions, si bien que, faute d’entretien, la mosquée a fini quasiment par se délabrer totalement, et ce n’est que dans les années 1990 qu’elle été reprise en main et sauvée du purgatoire. Restaurée dans une apparence moderne, elle a fonctionné en guise d’annexe de la Bibliothèque nationale avant qu’elle ne retrouve sa vocation originelle de mosquée à l’occasion de ce mois de Ramadhan, au grand bonheur des puristes et des jaloux de l’histoire.
