Commémoration du 8 mai 1945
«Ce jour-là, le peuple algérien avait compris que seule la lutte armée pouvait le libérer du joug colonial», soutiennent des historiens
8 mai 1945-8 mai 2023. Soixante-dix-huit années sont passées depuis les massacres du 8 mai 1945, une date tout à la fois indélébile et douloureuse qui restera à jamais gravée en lettres de sang dans la mémoire collective des Algériens.
Ce jour-là, le colonialisme français avait fait usage de la répression des plus sanglantes à l’encontre de milliers de civils descendus dans la rue dans une marche pacifique pour clamer et réclamer l’indépendance nationale. Mais force est de constater que cette cruauté n’aura réussi qu’à convaincre les Algériens de l’impérieuse nécessité, voire l’impératif de la lutte armée, puisque ces événements tragiques ont constitué un tournant décisif dans la lutte du peuple algérien pour son indépendance.
Aujourd’hui, l’Algérie, qui commémore cette date gravée sur le marbre de l’histoire du mouvement national, fera une halte en hommage aux 45.000 Algériens sortis de manière pacifique pour revendiquer l’indépendance promise.
«Les massacres du 8 mai 1945 ont entamé la préparation de l’action armée»
Contacté à ce sujet, l’enseignant et chercheur en histoire Mouloud Grine a été prolixe en indiquant que «les massacres du 8 mai 1945 ont marqué le début de la phase de préparation de l’action armée pour l’indépendance de l’Algérie». «Ces événements, qui dénotent de la férocité de l’armée française, ont marqué la fin de la période de formation de la seconde génération du mouvement national et le début de celle de la préparation de l’action armée pour déraciner les fondements du colonialisme et arracher l’indépendance de l’Algérie», a-t-il souligné. Interrogé sur les contextes interne et international ayant précédé ces sanglants événements, notre interlocuteur a répondu que «l’administration coloniale française avait recouru, pour la première fois, aux fours crématoires pour dissimuler l’étendue et la barbarie de ces massacres devant les observateurs étrangers venus s’en enquérir».
Et d’ajouter : «Les massacres du 8 mai 1945 étaient prémédités dans l’optique de pousser le peuple algérien à enterrer ses aspirations notamment le recouvrement de son indépendance nationale. Par ces crimes, l’armée française voulait redorer son blason terni après avoir essuyé de grands revers de la part de l’armée allemande. Ces tragiques événements sont partis de ce qui était censé être des manifestations pacifiques à Sétif avant de s’étendre essentiellement vers Guelma et Bejaïa en raison du refus des manifestants algériens de renoncer au mot d’ordre revendiquant l’indépendance du pays en brandissant l’emblème national.»
Considérant ces derniers comme une riposte du peuple algérien à la politique de la terre brûlée instaurée par l’ancien empire colonial depuis 1830, l’historien a ajouté que «la leçon du 8 mai 1945 a été apprise par le peuple algérien qui a pu défier l’un des plus puissants empires armés de l’époque».
«Brandissant les couleurs nationales, le martyr Bouzid Sâal a été froidement abattu»
Selon un autre historien et chercheur, Amar Rekhila, «le mardi 8 mai 1945, Bouzid Saâl, brandissant les couleurs nationales, a été froidement abattu par les militaires français qui transformèrent ainsi les manifestations pacifiques en affrontements sanglants. A Sétif, Guelma et Kherrata, des renforts militaires ont été envoyés pour exterminer la population algérienne et commettre ce qui allait devenir l’une des plus horribles et des plus sanglantes pages de l’histoire du colonialisme français en Algérie».
«Sans distinction aucune, les militaires français ouvraient le feu sur tout le monde»
Et de rappeler avec force détails que «sans distinction aucune, les militaires français et les milices armées ouvraient le feu sur tout le monde, hommes, femmes, vieux et enfants, commettant dans les villes et dans les hameaux les plus lointains un crime que le temps ne peut faire oublier».
Interrogé sur la problématique du bilan macabre de ce massacre, Amar Rekhila a indiqué : «Le bilan de ce massacre est de 45.000 Algériens tombés au champ d’honneur, alors que les autorités françaises de l’époque évoquaient la mort de 102 Européens et d’un millier de manifestants algériens». Quoi qu’il en soit, pour l’historien Amar Rekhila, «les évènements du 8 mai 1945 ont été le prélude de cette étape fondamentale de l’histoire contemporaine nationale, celle du déclenchement de la lutte armée le 1er novembre 1954, qui aboutira, au prix d’un million et demi de martyrs, au recouvrement de l’indépendance et de la souveraineté nationale.»
«Les massacres du 8 mai 1945, un choc violent pour les manifestants algériens»
«Les massacres du 8 mai 1945 ont été un choc violent pour les manifestants algériens qui croyaient encore en la possibilité de trouver une solution à la question algérienne dans un contexte français», affirme Amar Rekhila en revenant sur le contexte réel de ces massacres et leur impact sur le cours du mouvement national.
C’est ainsi que, selon interlocuteur, «si la date du 8 mai 1945 est celle de l’armistice et de la victoire sur le nazisme, elle représente en Algérie un tournant fondamental suite aux massacres coloniaux dans le Nord-Constantinois. Les manifestants algériens, en grand nombre, aspiraient eux aussi à jouir de la liberté, mais ils ont dû faire face à une répression brutale et une violence inouïe, notamment à Sétif, Guelma et Kherrata où plus de 45.000 Algériens ont été massacrés».
Pour notre interlocuteur, «il y a 78 ans, la France coloniale opposait, dans plusieurs régions de l’Est du pays, une répression sanglante à des milliers d’Algériens qui manifestaient pacifiquement leur désir de se libérer du joug colonial. Au moment où la victoire sur le nazisme laissait exalter joie et passion de l’autre côté de la Méditerranée, les forces coloniales, appuyées par des colons armés, s’étaient illustrées par des opérations d’une extrême brutalité».
Et d’ajouter : «Aux rassemblements organisés dans différentes villes, au cours desquels était brandi le drapeau algérien, les forces coloniales répondaient par une campagne féroce qui durera six longues semaines. L’objectif de cette répression était d’étouffer la volonté de s’affranchir du colonialisme au nom du principe sacro-saint du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle visait également à tuer l’espoir d’émancipation du peuple, né de la victoire sur le nazisme pour laquelle un grand nombre d’Algériens s’étaient sacrifiés.»
La France coloniale, selon Rekhila, «venait ainsi d’écrire une des plus sombres pages de sa colonisation en Algérie en même temps qu’elle achevait de convaincre les acteurs du mouvement national de la nécessité de la lutte armée. Les massacres du 8 mai 1945 ont mis à nu définitivement le véritable visage de la colonisation française qui a exterminé, détruit, brûlé, exilé, violé… et tenté d’occulter la personnalité nationale et de semer les germes de la discorde et de la division».
Enfin, pour cet historien, «c’est l’une des dates les plus sombres de l’histoire de la colonisation. Ce jour-là, la France avait perpétré l’un des plus grands massacres du XXe siècle en matant dans le sang les populations de Sétif, Guelma, Kherrata et d’autres localités». Et d’insister sur le fait que «ce sont là des crimes commis contre l’humanité et contre les valeurs de la civilisation car fondés sur la purification ethnique ayant pour objectif de remplacer les populations autochtones par des apports de populations étrangères. Des crimes qui visaient à déraciner l’Algérien, à piller ses richesses et à effacer tout fondement de sa personnalité».
«Une des dates les plus sombres de l’histoire de la colonisation»
Au sujet de la complicité des hauts responsables français de l’époque en indiquant, selon l’historien, «le général De Gaulle avait laissé clairement entendre qu’il ne pouvait tolérer que soit piétinée la souveraineté française dans les colonies. Dès le déclenchement des émeutes, il envoya un télégramme lu le 11 mai aux délégations financières par le gouverneur général disant : ‘’Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tout agissement anti-français d’une minorité d’agitateurs’’».
Ainsi donc, selon notre interlocuteur, «le général de Gaulle bénissait de son autorité toutes les actions répressives qui étaient décidées et menées en vue soi-disant du « rétablissement de l’ordre».