La définition des modalités de régularisation des constructions illicites en faisant la distinction entre celles-ci et les constructions anarchiques qui défigurent le tissu urbain a été une des recommandations du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui présidait, dimanche dernier, une réunion du Conseil des ministres consacrée à des projets de loi relatifs à plusieurs secteurs.
Ainsi, la protection et la préservation des terres domaniales de l’Etat et l’attribution du foncier économique seront désormais régies et administrées de manière drastiques par les walis tout en accordant un intérêt à la nécessité de distinguer les propriétés reprises sous protection de l’Etat des autres constructions anarchiques, construites dans de nombreux cas avec la complicité des autorités locales, et qui ont défiguré l’urbanisme.
Aussi, loin d’être un vœu pieux, le chef de l’Etat a insisté sur le fait d’appliquer des mesures coercitives pour poursuivre et demander des comptes à toute personne impliquée ou responsable d’accaparement de terres de l’Etat en leur imposant les peines les plus sévères. Et pour mettre fin au désordre régnant en matière d’attribution de logements ou d’un bien immobilier, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a ordonné la promulgation d’une loi relative à la lutte contre la falsification et l’utilisation frauduleuse de certificats de résidence.
«L’absence de contrôle a causé un désastre urbanistique sans précédent»
Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des architectes et ardent défenseur d’une gestion saine de l’urbanisme que nous avons joint lundi, considère à ce sujet que «l’absence de contrôle a engendré en quelques années un désordre urbanistique et architectural sans précédent».
Etayant son argumentaire en évoquant la récente décision du chef de l’Etat, notre interlocuteur a indiqué : «Il s’agit d’un décision éminemment importante pour redorer l’aspect des villes et mettre fin aux dépassements des règles de l’urbanisme.»
En d’autres termes, pour l’expert en urbanisme Abdelhamid Boudaoud, «l’absence de contrôle couplé aux passe-droits et à la corruption constitue la principale cause de ce désastre urbanistique». En effet, selon notre interlocuteur, «le contrôle se fait sur les plans d’études, mais, une fois la réalisation entamée, le suivi pose problème. Le problème réside dans le fait que les maîtres d’ouvrage et les bureaux d’études n’ont pas toutes les prérogatives pour assurer un contrôle rigoureux». C
’est pourquoi, l’expert déplore «un manque de sérieux de certains bureaux d’études indélicats qui ne se déplacent même pas sur les chantiers pour le suivi des travaux. On ne peut pointer un doigt accusateur sur l’entrepreneur dans la mesure où il ne peut livrer un projet s’il n’est pas conforme au cahier des charges».
«La décision de démolition ne doit pas être prise systématiquement»
«Le gouvernement a examiné récemment un avant-projet de loi relative à la protection et à la préservation des terres de l’Etat initié sur instruction du président de la République. Cet avant-projet de loi prévoit un nouveau dispositif juridique devant permettre de lutter efficacement contre les constructions illicites réalisées sur les terres de l’Etat, de renforcer la responsabilité de leurs gestionnaires et d’assurer une exploitation optimale des terres de l’Etat. Il consacre aussi un cadre juridique interdisant et sanctionnant sévèrement, par des peines allant jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle et deux millions de dinars d’amende, toute voie de fait ou agissement sur les terres de l’Etat entraînant la détérioration de leur valeur ou toute modification de leur statut ou vocation», a indiqué Boudaoud, non sans apporter la précision selon laquelle «la décision de démolition ne doit pas être prise systématiquement, il faudrait penser à toutes les solutions possibles avant de prendre cette décision».
Parmi ces solutions, le président Tebboune a évoqué, à titre d’exemple, l’évaluation de la valeur du terrain sur lequel la construction a été bâtie pour proposer au propriétaire d’en payer le prix, comme ce fut le cas avec certaines usines. «Il existe des moyens et des méthodes pour résoudre ce type de problème au lieu de faire dans l’autoritarisme, qui est en porte-à-faux avec la politique citoyenne de l’Etat», a-t-il mis en exergue
Pour l’économiste Brahim Guendouzi, qui a consacré une thèse de doctorat à ce sujet épineux des constructions illicites et anarchiques qui défigurent et amochent le plan urbanistique des grandes villes, «il est urgent de s’attaquer au problème de manière ferme». En effet, pour notre économiste, «il y a du pain sur la planche pour redorer l’aspect de nos villes».
«Donner à nos villes et nos cités un aspect extérieur homogène»
«Un travail doit être fait et les lois en vigueur doivent être appliquées afin de donner à nos villes et nos cités l’aspect extérieur homogène et un urbanisme organisé», dit-il en pointant le doigt sur les autorités locales : «Il s’agit de la responsabilité du président d’APC de veiller au respect du cachet urbanistique des cités qui dépendent de sa commune.»
Pour notre interlocuteur, «la loi 08-15 est claire dans ce sens et il y a aussi le décret 159 qui dit que le président d’APC ou le wali doivent passer et demander le plan à ceux qui sont en train de construire et vérifier s’il est conforme ou pas. Il faut une refonte profonde des choses, et je suis optimiste qu’à l’avenir avec la réaction positive des autorités publiques». Et d’émettre la suggestion selon laquelle «l’architecte doit passer par la commune, puis par la wilaya et ensuite au niveau national, selon ses compétences».
Par ailleurs, au sujet des dernières instructions du président de la République, Brahim Guendouzi n’a pas été avec le dos de la cuillère : «Ce qu’il y a lieu d’analyser en prolongement des instructions du président de la République, ce sont les problèmes d’efficacité des structures existantes, les problématiques de rapport aux citoyens et les problèmes de prérogatives et de formation.»
«L’urbanisation anarchique conduit à des difficultés de gestion des services communaux»
Dans le même contexte, notre interlocuteur n’a pas manqué de mentionner que «l’Algérie, à l’instar d’autres pays, vit des problèmes majeurs d’urbanisation sauvage dus essentiellement à un exode rural massif et des dérives graves dans le respect des fonctions régaliennes de l’Etat, à savoir l’établissement de lois et de règles, leur application et leur contrôle par les tiers et, le cas échéant, l’application de sanctions contre les contrevenants».
«Sur le plan environnemental, l’urbanisation anarchique conduit à des difficultés de gestion des services communaux de collecte des déchets et de gestion de l’adduction en AEP et des réseaux d’assainissement, des phénomènes qui provoquent des pollutions environnementales qui reviennent vers la population en termes de maladies et divers soucis de santé, sans parler des atteintes à la faune et la flore», a-t-il relevé
Plus grave encore pour cet économiste, «cette urbanisation anarchique provoque des risques sécuritaires importants comme la non-conformité des constructions face aux risques sismiques, les constructions sur des adductions d’utilité, le non-respect des installations électriques et gazières. Les situations d’urgence deviennent ainsi très difficiles à gérer en raison de la non-conformité des accès et l’étroitesse des routes par rapport à la densité de construction».
«La police de l’urbanisme ne suffira pas à régler les problèmes»
Pour l’ensemble de ces considérations, Brahim Guendouzi est formel : «Il est normal que le président de la République ait vu la nécessité de tout remettre en chantier sur les questions d’urbanisme avec cette priorité de remettre en place un nouveau cadre légal pour la police de l’urbanisme. Toutefois, la question de la police de l’urbanisme prise de manière isolée ne suffira pas à régler les problèmes, car une police est un instrument de contrôle et de surveillance du respect des lois et des règlements, elle ne se substitue pas aux organes de gouvernance de l’urbanisme qui sont aujourd’hui aussi défaillants et qu’il faut revoir.»
Guendouzi n’a pas manqué de mettre l’accent sur «la nécessité d’élaborer une étude qui doit définir ce qui est plus adéquat» en insistant sur «l’urgence de répondre à un certain nombre de questions et de formuler des textes législatifs et réglementaires en conséquence, notamment les prérogatives, la formation, la coordination entre les structures, les moyens matériels et humains, la communication positive avec le citoyen et, enfin, le traitement des préalables «qui consiste à traiter les dérives à la source et qui sont constituées aujourd’hui par les dépassements institués par les autorités en charge de l’urbanisme elles-mêmes». Il a aussi insisté sur le fait qu’une police de l’urbanisme «ne pourra pas être efficace si le cadre de gouvernance de l’urbanisme n’est pas adéquat».