Lorsque la première bombe nucléaire française a explosé, il y a 62 ans, à Reggane, dans le désert algérien, la France coloniale était plus soucieuse d’affirmer son entrée dans le club restreint des détenteurs de l’arme atomique que du devenir des populations et les lieux exposés, à ce jour, aux conséquences dévastatrices des essais qui ont duré sept ans.
Ce premier essai allait laisser des traces indélébiles sur les victimes irradiées qui poursuivent leur combat pour que les autorités françaises assument leurs responsabilités en les indemnisant des effets de ce crime abject. Il est important de souligner que de novembre 1961 à février 1967, la France a effectué 13 essais en sous-sol dont 4 n’ont pas été totalement contenus ou confinés, donnant lieu à une propagation massive des irradiations. Après l’indépendance d’Algérie, les tests se déplacent vers la Polynésie, sur les atolls de Mururoa et Fangataufa de 1966 à 1996.
Au total, la France a procédé à l’explosion de 17 bombes nucléaires aériennes et souterraines entre février 1960 et février 1967 dans la région de Reggane et dans les cavités du massif du Hoggar (Tamanrasset), et ce, au mépris de la sécurité de la population locale et de l’environnement. A travers ces explosions, la France coloniale voulait à tout prix rejoindre le club mondial nucléaire sans se soucier de la santé de la population et encore moins de la faune et de la flore. Plus grave encore, la France avait prétendu que ces explosions se situaient dans des régions inhabitées et désertiques, alors que celles-ci abritaient quelque 30.000 âmes.
Parmi les chercheurs en histoire, l’avocate Fatma Zohra Benbraham, que nous avons jointe dimanche, est tout indiquée pour revenir sur ces explosions atomiques désastreuses que l’armée française a toujours voulu dissimuler sous forme d’«expérience atomique».
La France a utilisé des êtres humains et non des mannequins !
En effet, selon notre interlocutrice, qui passe pour être une spécialiste de la question, «jusqu’à présent, la France n’a fait aucun effort pour nous renseigner sur l’ampleur des dégâts occasionnés aux populations locales et, pire encore, elle a utilisé des cobayes et non des ‘’mannequins’’ comme elle l’a toujours prétendu». Plus grave encore, Maître Fatma Zohra Benbraham s’est fait un point d’honneur d’aller jusqu’au bout de cette question : «Les autorités françaises continuent de négliger lesdits dossiers». Estimant dans le même sillage que «les quelques clauses des accords d’Evian conclues discrètement ne contiennent aucun texte autorisant la France à effectuer des essais nucléaires sur le sol algérien». «La France coloniale ramenait des ressortissants des pays colonisés, notamment d’Afrique, dont 600 Algériens, sur lesquels elle opérait ses expérimentations nucléaires», selon elle.
«Les autorités françaises continuent de négliger ce dossier»
De plus, selon l’avocate, «la France avait adopté en 2001 la loi sur la cour pénale rappelant que le crime ne devient pas obsolète et qu’il n’est point possible de remettre l’archive civile sur les victimes du colonialisme qu’après 100 ans», soulignant le fait que «cette procédure vise à faire oublier au peuple algérien les crimes commis durant l’époque coloniale».
Interrogée sur ce qui reste à faire pour élucider cette question, Maître Fatma Zohra a indiqué : «Je profite de cette tribune qui m’est offerte pour lancer un appel solennel au président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour décider de la création d’un laboratoire indépendant pour la recherche sur les crimes contre l’humanité étant donné que la France persiste à ne pas reconnaître ses crimes liés à ces explosions nucléaires dont les effets meurtriers demeurent jusqu’à présent».
«Les effets des irradiations se manifestent jusqu’à 60 années après les explosions»
A ce sujet, notre interlocutrice a révélé que «si, aujourd’hui, le taux des cas de cancer chez la femme ou chez l’homme sont élevés en Algérie, c’est parce que les effets des irradiations se manifestent jusqu’à 60 années après les explosions». Une révélation qui donne froid dans le dos puisque, selon elle, «il a été constaté depuis plusieurs cas de cancer, de fausse couche ou de stérilité, des maladies rares, des malformations ayant touché les familles des personnes ayant été exposées aux essais nucléaires».
Par ailleurs, selon l’avocate, «les pires crimes contre l’humanité commis par l’armée française entre 1830 et 1962 en Algérie restent toujours impunis, alors que les populations de la région souffrent jusqu’à présent des effets persistants des radiations induites par les explosions nucléaires à Reggane». «Il s’agit évidemment d’un crime, d’où l’importance de la reconnaissance par la France officielle de ce qu’il qualifie de ‘’génocide’’ à défaut de pouvoir le réparer. Il est temps que la France prenne ses responsabilités pour atténuer les conséquences de ses essais nucléaires sur les populations algériennes», a-elle lancé avec dépit.
«Il s’agit d’un crime contre l’humanité, d’où l’importance de sa reconnaissance»
Pour sa part, un autre chercheur en histoire, en l’occurrence Amar Rekhila, a déploré la gestion de ce dossier par la France, celle-ci, selon lui, étant «caractérisée par la pratique du “deux poids, deux mesures” par rapport à la Polynésie, par les mensonges concernant des essais propres et l’indemnisation de toutes les victimes (françaises, polynésiennes et algériennes) ainsi que par la perte de temps dans la prise en charge effective de ce dossier». «La France est responsable moralement et juridiquement devant le droit international humanitaire des souffrances et des ravages infligés à la population locale, au milieu naturel et à l’équilibre écologique», a-t-il noté non sans apporter des précisions selon lesquelles «cet épineux dossier constitue, en fait, un lourd héritage colonial pour l’Algérie. Aucun habitant du Sahara algérien ne peut évoquer ce sujet sans que les stigmates de la tragédie ne refassent surface avec la même douleur qu’hier».
«Cet épineux dossier constitue un lourd héritage colonial pour l’Algérie»
C’est pourquoi Rekhila s’est étalé sur le sujet en indiquant : «La plaie profonde a du mal à se cicatriser, d’autant plus que les archives sont frappées du sceau de secret défense et qu’elles sont incommunicables depuis 2008». Et de lancer : «J’appelle à ce que toute la transparence soit faite sur ces essais nucléaires dont les effets continuent à faire des victimes des décennies plus tard».
«Il faut réactiver ce dossier pour défendre les intérêts de ceux qui en ont souffert»
Interrogé sur le récent rapport de l’historien français Benjamin Stora, qui évoque la nécessité de poursuivre le travail entrepris entre les deux parties sur ce dossier, le chercheur insiste pour que la question des essais nucléaires «ne soit plus taboue en Algérie», tout en appelant les autorités algériennes à «réactiver ce dossier et à défendre les intérêts de celles et de ceux qui en ont souffert».
«Plus de soixante ans après les explosions nucléaires français au Sahara, le passé nucléaire de la France ne doit plus rester enfoui dans les sables. Il est temps de déterrer les déchets provenant des 17 essais réalisés entre 1960 et 1966 par la France au Sahara pour assurer la sécurité sanitaire des générations actuelles et futures, préserver l’environnement et ouvrir une nouvelle ère des relations entre l’Algérie et la France», a-t-il ajouté avec amertume.