En dépit de toutes les mesures prises par l’Etat pour réguler les prix de certains produits de large consommation, il subsiste toujours des cas où la ménagère se retrouve face à une mercuriale qui la désarme.
Autrement dit, si des raisons objectives justifient certaines hausses, notamment celles des produits dépendant des prix des matières premières sur les marchés internationaux, certaines envolées des prix obéissent plutôt à de la pure spéculation et à l’absence de régulation du marché commercial.
Ainsi, cherté de la vie, impact de la fluctuation des marchés internationaux et difficulté à relancer la machine économique, le consommateur algérien a entamé, rappelons-le, l’année 2022 avec une hausse vertigineuse des prix à la consommation qui a contraint, à la mi-février dernier, les autorités à suspendre, «jusqu’à nouvel ordre», l’application des taxes et impôts prévus par la loi de finances qui venait juste d’entrer en vigueur.
C’est pourquoi, la mise en place de commissions conjointes entre les professionnels et les secteurs ministériels concernés pour étudier le coût du produit s’avère une mesure positive et contrôlable pour les prix abusifs.
«Barrer la route à tous ceux qui s’enrichissent sur le dos du citoyen»
Contacté par nos soins, Hacène Menouar, président de l’Association nationale pour la protection des consommateurs «El Aman», semblait très enchanté par cette décision en augurant des résultats satisfaisants, à même de barrer la route à tous ceux dont l’ambition première est de tirer des dividendes considérables au détriment du citoyen. En fait, pour notre interlocuteur, «cette décision des pouvoirs publics constitue une solution véritablement salutaire pour le consommateur qui, parfois, ne sait plus à quel saint se vouer face à la mercuriale des produits de large consommation».
«Certains commerçants donnent libre cours à leur insatiable voracité et ne semblent privilégier que l’enrichissement, obsédés par l’envie de faire des bénéfices. La flambée des prix engloutit le budget des ménages et écrase davantage le pouvoir d’achat», a-t-il indiqué avant de poursuivre : «Les raisons peuvent être résumées principalement en deux points. Le premier est structurel, dû a une désorganisation des circuits de distribution avec un manque de régulation au niveau des grands distributeurs, ce que l’on appelle dans le jargon ‘‘les super grossistes’’ qui contrôlent le marché et se positionnent entre les producteurs/importateurs et le reste du circuit de la distribution. Et le deuxième est comportemental chez les citoyens qui changent de mode de consommation de manière brusque, ce qui induit des tensions dans l’approvisionnement des marchés.»
«Il était temps de s’attaquer directement à ce problème à travers des décisions de ce genre»
Et de poursuivre : «La demande augmente fortement sur les mêmes produits par l’ensemble des ménages pour un intervalle temporel très réduit, ce qui rend la satisfaction de la demande difficile. Donc, il est temps de s’attaquer directement à ces deux problématiques à travers des politiques bien élaborées.»
C’est pourquoi, selon lui, «la mise en place de commissions conjointes entre les professionnels et les secteurs ministériels concernés constituera une barrière infranchissable pour les spéculateurs».
Outre cette décision, notre interlocuteur, soucieux du pouvoir d’achat des consommateurs, suggère qu’«il est temps de réfléchir à la création – comme ce qui est en vigueur à travers le monde – de centrales d’achat dans le cadre du partenariat public-privé en créant des sociétés clairement identifiées et dont la régulation se ferait plus aisément», a-t-il avancé avant d’aller plus loin dans son argumentaire : «Il est important qu’on travaille sur la sensibilisation et l’éducation nutritionnelle pour amener les consommateurs à modérer et mieux organiser leurs achats durant les périodes de tension.»
«Une large sphère commerciale échappait au contrôle dans les manœuvres spéculatives»
Pour Hacène Menouar, «une large sphère commerciale qui échappe au contrôle s’est spécialisée dans les manœuvres spéculatives, favorisées par la prédominance de l’informel et la désorganisation du marché intérieur.» C’est pourquoi, par voie de conséquence, «ce phénomène explique pour une bonne partie la flambée récurrente des prix enregistrée ces dernières années.» Et de poursuivre : «Cette criminalité profite d’un terreau favorable avec l’absence de traçabilité, de ventes sans facture, de marché de gros des produits alimentaires informels», a-t-il indiqué avant de s’interroger à juste titre : «Quand les transactions commerciales s’effectuent dans des circuits informels, comment voulez-vous que la spéculation ne prospère pas sur le marché domestique ? Autrement dit, si le marché intérieur était organisé avec des circuits de distribution transparents, de véritables marchés de gros de fruits et légumes, de viandes et de produits alimentaires, une régulation de l’offre, un véritable appareil de contrôle, avec des services qui travaillent en étroite collaboration ,soutenus par les forces de l’ordre, les pratiques spéculatives ne seraient pas aussi déterminantes dans la fixation du prix des produits de large consommation.»
De son côté, Mustapha Zebdi, président de l’Association de protection et d’orientation du consommateur (Apoce), a indiqué à ce sujet qu’«il s’agit d’une décision hautement bénéfique aussi bien pour le consommateur que pour le producteur», ajoutant que «les circuits de distribution des produits de large consommation restent déstructurés».
«Les spéculateurs verront se dresser devant eux une barrière rigide et infranchissable»
C’est pourquoi, avec cette décision de mettre sur pied des commissions conjointes entre les professionnels et les secteurs ministériels concernés, il va sans dire, selon lui, que «les spéculateurs et autres aventuriers de la hausse des prix verront se dresser devant eux une barrière rigide et infranchissable».
De par son expérience en matière de protection des consommateurs, Mustapha Zebdi n’y est pas allé avec le dos de la cuillère et de lâcher : «Il y a une anarchie sur nos marchés.»
En outre, notre interlocuteur n’a pas manqué d’ajouter à ce sujet : «Tant que cette déstructuration de la distribution persiste, ces manœuvres spéculatives vont perdurer», a-t-il averti non sans préciser qu’«il faudrait également que la loi soit appliquée avec rigueur». C’est pourquoi, Zebdi évoque «l’absence de traçabilité visible à travers le phénomène des ventes sans factures».
«En l’absence de traçabilité, les mafias des produits de large consommation prospèrent»
Et d’affirmer, pour rappel, qu’«un décret de 2017 qui prévoit la délivrance d’un bon de transaction commerciale pour toute opération de vente et d’achat, notamment dans les marchés de gros, n’est guère appliqué.»
Il est utile de rappeler, par ailleurs, selon le président de l’Apoce, que son «organisation a à maintes reprises, appelé les pouvoirs publics à une meilleure organisation des circuits de distribution, à cette traçabilité, mais en vain», poursuivant : «L’Apoce a également appelé à l’identification des acteurs du marché de la distribution des fruits et légumes, de la viande et des autres produits de large consommation. La traçabilité, l’identification des acteurs du marché et une meilleure organisation des circuits de distribution permettront de séparer le bon grain de l’ivraie et d’exclure les commerçants fraudeurs.» «Il y a un flou sur nos marchés», observe-t-il. «C’est devant cette absence de traçabilité que prospèrent les mafias des produits de large consommation», a-t-il lâché non sans indiquer que «la décision prise par les pouvoirs publics aura des répercussions positives, au grand bonheur des consommateurs, ballottés entre le pouvoir d’achat et les pratiques malsaines, voire criminelles des spéculateurs».