L’Algérie, soucieuse de marquer d’une pierre blanche les événements marquant sa lutte acharnée contre le colonialisme français, commémorera lundi la tristement célèbre journée du 17 octobre 1961. Une journée durant laquelle des dizaines de milliers d’Algériens ont été arrêtés, torturés et dont bon nombre ont été jetés dans la Seine, juste pour avoir défendu leur droit à l’égalité, leur droit à l’indépendance et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés – notamment par la «force de police auxiliaire» – ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police parisiennes.
Si 61 ans plus tard la vérité est partiellement en marche, cependant la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées- en particulier la Guerre d’Algérie – non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés, comme ce crime d’Etat que constitue le 17 octobre 1961.
Le 17 octobre 1961, des Algériens manifestant pour leur indépendance ont été assassinés
Pour rappel, il y a dix ans, le président français de l’époque, en l’occurrence François Hollande, avait certes fait un premier pas important en déclarant : «Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante-et-un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes.» Mais le terme de crime n’est pas repris, et les responsabilités ne sont pas clairement définies, pas plus que dans le communiqué de l’Elysée de 2021. En faisant porter la responsabilité du crime sur le seul Maurice Papon, Emmanuel Macron a éludé une fois de plus la responsabilité de l’Etat français.
Contactée par nos soins, l’avocate et chercheuse en histoire, Me Fatma Zohra Benbraham, a mis en avant le fait que les différents témoignages des survivants de la répression sauvage contre les Algériens, venus manifester pacifiquement contre le couvre-feu qui leur avait été imposé, démontrent le massacre et le crime d’Etat. Me Fatma Zohra Benbraham estime que «c’est sur la base de ces témoignages que juridiquement on a consacré le mot “massacre” pour qualifier ce qui s’était passé le 17 octobre 1961».
«Des témoignages qui ont dévoilé un crime et un mensonge d’Etat», explique l’avocate qui rappelle d’ailleurs comment le militant anticolonialiste Jean-Luc Einaudi avait réussi à dévoiler et à «faire basculer la fausse excuse de l’Etat français», a-t-elle indiqué et d’ajouter : «Jean Luc Einaudi a livré des témoignages d’employés des archives lors de son procès contre le préfet de police de l’époque des événements, Maurice Papon».
Aussi, pour la juriste, «Maurice Papon a d’ailleurs qualifié Jean Luc Einaudi de menteur». L’avocate, qui a fait remarquer l’existence de «témoins algériens et français, dont deux archivistes français qui sont venus dire la vérité» mais qui seront, précise-t-elle, «écartés ainsi que deux autres enquêteurs français qui ont attesté de l’existences de victimes dans ce massacre que la France officielle continue de nier». Aussi, il devient clair que «c’est sur la base de ces témoignages que juridiquement on a consacré le mot ‘‘massacre’’ pour qualifier ce qui s’était passé le 17 octobre», a ainsi affirmé Fatma Zohra Benbraham qui a estimé que «juridiquement, si on a le complice, on doit bien avoir l’auteur qui, dans ce cas, n’est pas un être humain mais un gouvernement ou l’Etat français qui n’a, devant ces témoignages, plus les moyens de nier ou dissimuler sa volonté express de massacrer des groupes de citoyens qui manifestaient pacifiquement dans les rues parisiennes». C’est dans ce contexte que notre interlocutrice a mis en avant l’importance de l’accès aux archives.
Protéger les complices et l’auteur du crime commis le 17 octobre 1961
Par ailleurs, celle qui a de tout temps appelé à l’ouverture des archives dénonce ainsi «la volonté de l’Etat français au plus haut niveau d’entretenir le mensonge et le secret». Elle explique que «la volonté manifeste de la France officielle de protéger ses agents qui ont perpétré ces crimes mais aussi de se préserver de toute poursuite, l’a poussé à fermer l’accès aux archives», rappelant ainsi la loi de 1979 qui impose la non-communicabilité des archives pendant 60 ans. Cela, précise-t-elle, «devait servir en fait à protéger les complices et l’auteur du crime commis le 17 octobre 1961». Elle rappelle ainsi qu’au bout de soixante-et-un ans, «nous sommes soumis à la règle de non-communicabilité des archives dès le 18 octobre 2021».
Elle met cependant en doute «la prédisposition de la France à respecter ses propres lois, d’autant plus qu’il y a des précédents». Elle rappelle la manière dont Nicolas Sarkozy avait «fermé l’accès aux archives relatives aux explosions nucléaires menées dans le Sud algérien». L’avocate émet même des doutes sur «les motivations réelles des restrictions sur les visas imposées à la veille de la levée de la non-communicabilité des archives». Elle estime que cela «pourrait être motivé par la volonté d’obstruer le travail des chercheurs historiens algériens», même si elle rappelle que «la communauté algérienne en France compte 6 millions de ressortissants. Des Algériens qui sont aujourd’hui invités à contribuer à ce travail de mémoire».
Le massacre du 17 octobre 1961 avait réussi à exporter la guerre au pays de l’ennemi
Me Fatma Zohra Benbraham rappellera par ailleurs que «le choix de la date du 17 octobre pour organiser cette manifestation pacifique n’était pas, comme le croyaient les Français, anodin. Bien au contraire, le FLN avait bien choisi la date parce qu’à l’ONU il y avait en ce moment un débat sur le droit des peuples à l’autodétermination». «Et les Algériens ont ainsi voulu dire au monde entier qu’ils n’étaient pas des Français et qu’ils ne voulaient plus rester sous la tutelle de la France», a-t-elle conclu.
De son côté, l’historien Mouloud Grine a affirmé, de son côté, que «le massacre du 17 octobre 1961 avait réussi à exporter la guerre au centre du pays de l’ennemi et démontré à la presse étrangère l’ampleur des atrocités de l’occupant français qui a fait fi des principes des droits de l’homme et de la démocratie que les politiques français ont longtemps loués».
Ces événements douloureux, selon lui, «ont tellement eu d’impact qu’ils avaient contraint le président français de l’époque des faits, Charles de Gaulle, à se soumettre à la volonté des chefs de la Révolution algérienne de tenir une rencontre de négociations le 28 octobre 1961».
S’agissant du nombre de victimes, la Fédération de France du FLN, organisatrice de ces manifestations dans la capitale française, avaient estimé que ce nombre «a dépassé 400 victimes, tandis que les renforts sécuritaires français visant à faire face aux manifestations de notre communauté se sont élevés à près de 8000 policiers et 1500 gendarmes, en plus de 500 harkis venus de l’Algérie, spécifiquement pour cette opération».
La France refuse toujours de s’excuser et de reconnaître officiellement ces massacres
61 ans après ces massacres, indique l’historien, «la France refuse toujours de s’excuser et de reconnaître officiellement ces massacres comme un crime contre l’humanité et les essais nucléaires qui ont tué des centaines d’Algériens, en dépit du verdict de 10 ans de prison prononcé par la justice française contre Maurice Papon pour participation à un crime contre l’humanité».
Aujourd’hui, 61 ans plus tard, les autorités françaises, qui ont de tout temps occulté ce massacre, continuent de nier des faits avérés. Encore aujourd’hui, celui-ci n’est avoué qu’à moitié en dépit du fait que le 12 février 1999, le parquet de Paris avait mis des mots sur ce drame et avait qualifié cet événement de «massacre», mais cela ne suffit pas. Les familles des victimes, les historiens, mais aussi les personnes ayant assisté de près ou de loin aux événements du 17 octobre 1961 demandent la reconnaissance de ces actes comme étant «un crime raciste» et un «crime d’Etat».