Les nuages s’amoncellent au-dessus de l’économie mondiale. Après deux longues années de pandémie, le conflit en Ukraine risque de coûter un point à la croissance planétaire en un an si les effets sur les marchés énergétiques et financiers s’avèrent durables.
Dans l’entretien accordé à Maghreb info, le directeur général de l’Agence nationale des déchets (AND), Karim Ouamane, revient sur l’impact des fluctuations géopolitiques sur le marché des déchets en Algérie, ainsi que le rôle de ce marché pour le développement économique.
Entretien réalisé par Imen H.
Maghrab info : Le conflit en Ukraine aura-t-il un impact sur le marché mondial des déchets ?
Karim Ouamane : Il est nécessaire de rappeler que la Russie et l’Ukraine sont d’importants producteurs de matières premières. Fatalement, le conflit dans cette région provoquera sans aucun doute d’importantes perturbations en matière d’approvisionnement des marchés internationaux, donnant lieu à une flambée des prix à l’échelle planétaire. Les déchets sont pour beaucoup de processus de transformation une source de substitution à la matière première naturelle. La situation à l’est de l’Europe ne pourrait qu’accentuer la pression sur ce marché. Aussi, le FMI vient de faire savoir que les prévisions de croissance seront revues à la baisse dès ce mois de mai dans ses perspectives pour l’économie mondiale ; donc, il ne faut pas s’attendre à un effet contraire sur le marché les déchets, soit comme matière première ou comme déchets produits. Il serait donc bien difficile de construire un scénario au regard des nombreuses incertitudes, comme la modification de l’ordre économique et géopolitique mondial, la configuration future du marché de l’énergie et des chaînes d’approvisionnement. Le marché des déchets ne pourrait rester en marge. Pour preuve, le marché européen des déchets montre déjà des signes de perturbation à cause de l’augmentation du prix de l’énergie. C’est à ce titre que des unités de recyclage des déchets de papier se sont arrêtées de produire, car ce sont des processus de fabrication énergivores et les prix énergétiques font que le produit fini ne soit plus concurrentiel sur le marché mondial.
Maghreb info : Le marché des déchets en Algérie sera-t-il impacté par les fluctuations géopolitiques ?
Karim Ouamane : Forcément à l’export. A mon humble avis, il est temps de favoriser un marché national afin de se prémunir de l’importation de la matière première.
Maghreb info : Quel est le taux de recyclage en Algérie ?
Karim Ouamane : L’Agence nationale des déchets l’estime à 9,83%. Bien qu’il soit faible, il offre néanmoins de belles perspectives en matière de création d’activités à effet direct et indirect sur l’économie nationale.
Maghreb info : Comment qualifieriez-vous la politique de gestion des déchets ainsi que le système de récupération et de valorisation des déchets en Algérie ?
Karim Ouamane : L’Agence nationale des déchets est l’institution exécutive du ministère de l’Environnement pour sa politique en matière de gestion des déchets. Notre politique est en pleine mutation et en continuité de la politique initiée en 2001. Elle s’oriente vers plus de tri et plus de valorisation. L’aspect économique est au cœur de la nouvelle vision.
Maghreb info : Faut-il consacrer des espaces pour la collecte des déchets, notamment le plastique ?
Karim Ouamane : Là, vous êtes en train d’aborder l’aspect opérationnel. La façon de faire est liée au contexte qui prévaut dans la zone d’intervention. Néanmoins, des zones dédiées sont à prévoir car une gestion efficiente des déchets repose sur des espaces de proximité.
Maghreb info : Vous venez de réaliser une enquête sur les déchets marins. Pourriez-vous nous dresser un état des lieux ?
Karim Ouamane : Les enquêtes réalisées par l’AND sur les déchets marins révèlent que les déchets plastiques représentent plus de 85% des déchets analysés sur les plages dont 66% sont des plastiques à usage unique. Ces déchets sont liés à notre modèle de consommation et amplifiés par le dysfonctionnement dans le système de gestion des déchets dans les villes côtières ou dans les localités drainées et dont les effluents se retrouvent dans la mer.
Maghreb info : L’Algérie a-t-elle toutes les compétences et infrastructures nécessaires pour être pionnière dans le domaine de l’économie circulaire en Afrique ?
Karim Ouamane : Les pouvoirs publics ont beaucoup investi dans le système de gestion des déchets. A ma connaissance, aucun pays en Afrique n’a autant investi. Nous avons acquis de l’expérience, mais nous n’avons pas encore atteint les objectifs tracés ; par contre, nous sommes en mesure d’exporter beaucoup d’acquis vers le continent. Je peux vous assurer que l’AND est sollicitée pour des programmes d’accompagnement dans beaucoup de pays africains. Aussi, un certain nombre d’opérateurs algériens ont investi le continent.
Maghreb info : La gestion des déchets est-elle un véritable enjeu pour le développement économique ?
Karim Ouamane : Les déchets constituent une belle opportunité en matière de création d’activités de transformation et de services. Néanmoins, il est nécessaire de faciliter l’émergence d’un marché des déchets où l’offre et la demande sont le moteur. Sans omettre de mettre en place un système de régulation et de contrôle. L’Algérie produit annuellement 34 millions de tonnes de déchets, dont 50% de déchets organiques pouvant être recyclés, et devrait, à l’horizon 2035, produire entre 70 et 75 millions de tonnes, d’où la nécessité d’une gestion intégrée des déchets au regard de leurs risques sur l’environnement. Il y a lieu de noter que la Banque mondiale a indiqué dans son dernier rapport que «d’ici 2025, la valeur de l’industrie mondiale de la gestion des déchets devrait atteindre 530 milliards de dollars, contre 330,6 milliards de dollars en 2017». Les taux mondiaux de recyclage augmentent également, le métal devant atteindre 434,55 milliards de dollars d’ici 2023. Dans l’ensemble, la gestion des déchets est assurée par les autorités locales. Alors que 70% des pays ont élaboré des politiques qui réglementent leur industrie des déchets, il reste encore beaucoup à faire. Selon la Banque mondiale, 2,01 milliards de tonnes de déchets solides sont générées chaque année, dont au moins 33% sont gérées de manière non sûre pour l’environnement. Pour la plupart, les taux de collecte des déchets varient selon les niveaux de revenu. Les pays à revenu élevé ne représentent que 16% de la population mondiale, mais ils génèrent 34% des déchets mondiaux. Les populations à hauts revenus ont plus de pouvoir d’achat, ce qui se traduit par plus de biens acquis, et avec ceux-ci leur emballage (rien qu’en Allemagne, 221 kg de déchets d’emballages sont produits chaque année par habitant. Cependant, l’Allemagne recycle plus que tout autre pays.) Toujours selon le rapport de la Banque mondiale, en Afrique subsaharienne, 69% des déchets sont déversés dans la nature et souvent brûlés. 24% des déchets sont éliminés sous une forme quelconque et environ 7% d’entre eux sont recyclés ou récupérés.