L’importation des véhicules de tourisme de moins de trois ans d’âge par les particuliers résidents, sur leurs devises propres, a été autorisée par la loi de finances complémentaire (LFC) pour 2021. Malgré une mesure jugée « dans l’intérêt du citoyen » et du « budget de l’Etat », Abdelkader Berriche, économiste et enseignant-chercheur à l’Ecole supérieure du commerce d’Alger, s’attend à ce que les prix restent encore en deçà des attentes des Algériens, mais pas pour très longtemps.
Contacté hier par téléphone, Abdelkader Berriche a rappelé, d’emblée, que l’importation des véhicules de moins de trois ans avait été autorisée par la loi de finances de 2020 avant qu’elle ne soit « gelée », chose qui « sera nécessairement dans l’intérêt du citoyen et aussi l’intérêt du budget de l’Etat qui aura ainsi une nouvelle ressource pour générer des revenus fiscaux ».
« Cela aura également un rôle dans la stabilisation des prix des voitures d’occasion qui coûtent très cher sur les marchés », a-t-il analysé.
Cependant, note l’économiste, les effets de ce décret sur les prix des voitures d’occasion ne devraient pas intervenir dans le proche terme.
« Les prix vont certes baisser, mais nous ne devons pas assister dans l’immédiat à ce que les prix des voitures soient rendu moins chers. Cela est tributaire de la qualité et des prix qui seront appliqués sur ces voitures moins de 3 ans importées par l’Algérie, comme cela revient aussi à la demande. Il y a aussi la question si l’orientation des consommateurs vers cette catégorie de voiture va influer et infléchir la barre des prix des voitures d’occasion qui sont déjà en vente sur les marchés à l’intérieur de pays », a-t-il prédit.
L’arrivée des premières voitures importées risque de prendre beaucoup de temps.
L’opération n’est pas du tout facile, car il faut que les importations soient en volumes importantes et conséquentes, et en plus de la durée des procédures pour faire les commandes, il faut aussi des délais d’attente de 3/6 mois jusqu’à une année pour l’arrivée de ces voitures.
La dévaluation de la valeur du dinar ne va pas en faveur de la baisse des prix des voitures importées, vu le fort taux de change des devises étrangères.
« La baisse de la valeur de la monnaie nationale (le dinar algérien) aura certainement un impact. Personnellement, je m’attends à ce que les prix de ces voitures importées soient relativement élevés parce qu’il est sans le savoir que la contrepartie à payer sera en euro ou en dollar. La baisse du dinar est amplifiée par le marché noir et l’instauration de ce décret risque aussi de faire monter en hausse le marché de change parallèle de devise, stimulée par la forte demande. Cela est dû essentiellement à la baisse du pouvoir d’achat en dinar », a souligné l’économiste Abdelkader Berriche.
« Le problème du pouvoir d’achat attend des solution qui peuvent intervenir à travers des réformes structurelles de l’économie nationale et du système financier et de change. Or cela nécessite du temps, car la concrétisation de ces réformes peut intervenir dans deux ou trois ans. Une période nécessaire avant que l’Etat puisse enfin mieux maitriser la valeur du dinar et l’assèchement graduel du marché noir de change », a-t-il ajouté.
Pour ce professeur dans le domaine de la gouvernance économique et auteur de plusieurs recherches dans le développement économique, il faut une stratégie industrielle, et notamment automobile, claire pour que le consommateur ait accès à une voiture moins chère.
« Malheureusement, dans tous les pays développés et même émergents, la fabrication des voitures est un processus économique et commercial qui se poursuit dans la durée. En Algérie, ce processus a été arrêté, car il est lié aux affaires de corruption, de blanchiment d’argent et le transfert de fonds illicitement à l’étranger, qui sont nait de l’industrie de montage automobile dans les années dernières», s’est-il désolé.
Avant d’insister : « Maintenant, il faut réformer et remédier à cette déroute. Pour réussir l’industrie automobile en Algérie, il faut tout d’abord se munir d’une stratégie très claire qui passera obligatoirement par le développement de la sous-traitance et du secteur des industries mécaniques de façon générale sur le territoire national, car quels que soient les efforts consentis et la technologie et même si on ramène les grands constructeurs pour les faire installer en Algérie, si tu n’a pas un tissu de sous-traitance de PME/PMI, tu ne réussira pas dans cette industrie, et nous retrouverons dans un cercle vide. »
L’économiste Abdelkader Berriche estime ainsi qu’« il est temps pour avoir une politique complémentariste par rapport au secteur de l’industrie mécanique et notamment la construction de voitures touristiques ou d’engins (voitures légères et lourdes) ».
Il plaide pour que l’Algérie ait une « vision globale et complémentaire de la manière de faire et de comment ramener les grands constructeurs et les convaincre d’installer en Algérie à travers des incitations fiscales et parafiscales et aussi pour s’orienter vers l’exportation aux marchés dans l’Afrique et pourquoi pas en Europe ».
Dans ce sens, Abdelkader Berriche ne voit pas d’objection dans la réhabilitation des usines de montage automobile existant déjà dans le pays avant leurfermeture et l’inculpation d’une grande partie de leur propriétaire par la justice.
« Parmi les paramètres de l’industrialisation d’un pays estd’avoir une industrie automobile pour fournir le marché intérieur et s’orienter vers les potentiels marchés en Afrique et partout ailleurs. Il ne faut pas juste se contenter de fabriquer la voiture ici en Algérie, mais il faut aussi penser à en exporter », a-t-il fait savoir.
Abdelkader Berriche, qui est également candidat aux législatives – tenues hier le 12 juin -, insiste sur l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens, le seul facteur, selon lui, qui stimulera la demande sur la consommation et l’achat des voitures.
Il promet de travailler sur ce thème s’il réussit à accéder à l’hémicycle de Zighout Youcef.
« L’amélioration du pouvoir d’achat a un rapport direct avec la création des emplois et de booster une véritable dynamique économique, c’est-à-dire quand les ménages ont de quoi payer et acheter, on peut dire ainsi qu’il y a une possibilité de consommation. Mais quand les ménages souffrent de chômage, des effets du marché parallèle et le recul de l’emploi, s’ajoutent aussi au phénomène du travail non permanent et non structuré et organisé. Quoi qu’il en soit, les efforts qui seront pris par le gouvernement, le pouvoir d’achat se maintiendra en baisse et se détériorera continuellement. Pour relever le pouvoir d’achat, il faut encourager la création d’emploi et aussi encourager les investissements », a-t-il estimé.