Le président de la Commission de surveillance des opérations boursières (Cosob), M.BERRAH Abdelhakim, dans cet entretien qu’il nous a accordé, est revenu sur les principales mesures qui permettent aux entreprises de bénéficier de financements via la Bourse.
Maghreb Info : Aujourd’hui, il y a la volonté de relancer l’économie nationale sur des bases nouvelles, la Bourse veut s’imposer comme l’une des alternatives dans le financement des entreprises, notamment en cette période de crise financière, à ce propos, que propose cette institution ?
BERRAH Abdelhakim : Il est établi que le rôle du marché financier est d’offrir des capitaux à des entreprises privées et publiques qui ont besoin de croître, d’innover et de se diversifier. L’expérience mondiale a montré que l’introduction des entreprises publiques sur le marché financier reste, dans l’ensemble, la stratégie la plus efficace qui contribue efficacement à l’économie du pays. En outre, la discipline du marché financier impose un changement profond dans la gouvernance des entreprises publiques. Pour entrer en Bourse, les entreprises peuvent recourir à une variété d’instruments financiers, les actions, les obligations, les titres participatifs…. Sur ces derniers instruments, permettez-moi de vous préciser que le Haut-Conseil islamique a labellisé, selon les conditions d’émission, ce type d’instruments comme étant «Charia Compliant».
Dans ce contexte, nous avons accueilli avec satisfaction l’annonce du ministère des Finances indiquant l’introduction en Bourse, au courant l’année 2021, de deux banques publiques : le CPA et la BDL. L’ouverture du capital de ces deux banques est un bon signal pour le marché ; toutefois, il conviendrait d’élargir la liste des entreprises ayant vocation à être privatisées à, au moins une cinquantaine, dans un délai de cinq à dix ans, et ce, afin attirer de manière durable des investisseurs potentiels.
En mettant ainsi une partie du capital des entreprises publiques en Bourse, le gouvernement peut créer un climat de confiance envers le marché financier, confiance qui pourrait inciter les acteurs du secteur privé à explorer ce mode de financement alternatif.
En Algérie, la plupart des entreprises, notamment les PME, sont familiales, elles constituent le gros du tissu des entreprises mais elles sont réfractaires à l’idée d’ouvrir leur capital, condition pour entrer en Bourse, est-ce que ce n’est pas cela le nœud gordien qui fait que le marché financier connaît une léthargie et n’arrive pas à amorcer sa dynamique ?
Certes, l’essentiel du tissu des PME algériennes est constitué d’entreprises familiales, mais cela ne peut constituer nullement un obstacle pour lever des fonds via la Bourse. Il faut rappeler que le taux minimal exigé de l’ouverture du capital est de 20% seulement pour ce qui est du marché principal, et de 10 % pour ce qui est du compartiment PME. Cette proportion est loin de représenter une menace pour la perte de contrôle pour le propriétaire historique ou fondateur de la PME
Le gouvernement propose de régler le problème des entreprises publiques en difficulté par leur introduction en Bourse. Dans quelle mesure cette action pourra fonctionner et est-ce qu’il ne faut pas d’abord procéder à leur assainissement et réfléchir à des plans de redressement efficaces mais surtout à faire en sorte qu’elles changent de mode de gestion ?
A notre avis, le financement des entreprises publiques, qu’elles soient saines ou en difficulté, peut être abordé suivant une approche différenciée segmentant les entreprises en quatre catégories:
1-Les grandes entreprises publiques qui sont régies par les règles de la commercialité et de rentabilité mais soumises à des sujétions de service public (Sonelgaz, Seaal, Air Algérie…). Leur financement pourra s’effectuer par le recours aux emprunts obligataires cotés en Bourse, et ce, afin de les imprégner des bonnes pratiques de gouvernance d’entreprises et de l’orthodoxie de gestion. Aussi, le financement par émission des emprunts obligataires permettra d’alléger la pression sur le budget de l’Etat. Les retombées positives sur ces entreprises sont immenses en termes de moralisation, transparence et culture d’entreprise.
2-Les entreprises publiques rentables et performantes (hydrocarbures, telecom, banques, compagnies d’assurances…). Le financement de cette catégorie s’effectue par l’ouverture de leur capital ou le cas échéant son augmentation par l’émission de nouveaux titres de capital. A cet égard, il serait souhaitable de réserver une partie du capital à un partenaire stratégique à l’international ou un partenaire privé local. L’objectif recherché est de pérenniser ces entreprises publiques économiques (EPE) viables qui sont compétitives et produisent des produits de qualité.
3-Entreprises présentant un fort potentiel mais dont la structure financière demeure peu équilibrée et fragile. La solution préconisée consiste à déployer un programme d’assistance similaire à ce qui a été fait dans d’autres pays, connu sous le nom de programme Elite. Cette action permettra d’identifier et accompagner ces entreprises en les aidant à appréhender les outils nécessaires pour améliorer leur gestion, leur gouvernance, leur business plan. La mise en œuvre dudit programme devrait contribuer à faciliter leur accès au financement par le marché.
4-Entreprises publiques déstructurées financièrement. Il s’agit généralement d’entreprises non viables et pour cela la solution préconisée serait, après évaluation, hélas peut-être la liquidation, la cession d’actifs…
Il est notoire que la gestion des entreprises nationales n’est pas toujours transparente. Or pour obtenir un financement via la Bourse, il faut garantir certaines conditions strictes et claires, voire changer carrément le mode de management. Que faut-il faire à votre avis pour amener ces entreprises à intégrer la nouvelle stratégie économique ?
Dans une première phase, je préconise de créer une entité distincte et autonome qui représente l’Etat actionnaire au niveau de toutes les entreprises publiques. Elle sera appelée à gérer toutes les participations de l’Etat. Ce faisant, on sépare le rôle de l’Etat, en tant que régulateur et celui de l’actionnaire.
Les entreprises publiques doivent avoir une large autonomie sous l’autorité du conseil d’administration qui lui-même doit être composé non pas d’administratifs uniquement mais aussi d’administrateurs indépendants pouvant apporter un plus à l’entreprise. Bien sûr tout cela fonctionne selon des normes avec un contrat de performance, vérifiable, mesurable.
Dans ce contexte de transparence, permettez-moi de vous souligner que la Cosob a élaboré un code de gouvernance en direction des entreprises cotées à la Bourse d’Alger, les autres entreprises non cotées souhaitant améliorer leur gouvernance peuvent s’inspirer des principes et des règles qui y sont dictés.La bonne gouvernance et la conformité demeurent des vecteurs compétitifs d’un puissant levier en termes d’image et de réputation. Le fil conducteur doit être que toutes les entreprises publiques et toutes les entreprises qui reçoivent des finances publiques ou une contribution de l’argent public doivent agir dans une transparence accrue.
De grands groupes comme Sonelgaz ou Sonatrach, ainsi que d’autres groupes du secteur privé ne sont pas en Bourse, pourquoi, selon vous?
Pour ce qui est des grands groupes publics que vous citez, je pense que la conception des pouvoirs publics repose sur la considération du secteur de l’énergie comme étant stratégique, voire de souveraineté, et dont l’Etat souhaite toujours conserver le contrôle exclusif. Cela dit, ailleurs dans pareilles sociétés, l’Etat n’est actionnaire qu’à hauteur de 30% ou 50%. Cependant, je vous rappelle que ces sociétés ont émis déjà par le passé des emprunts obligataires (des dizaines de milliards DA) qui ont été cotés à la Bourse d’Alger.
Quant aux groupes du secteur privé, je pense que ces sociétés doivent être convaincues et ressentent le besoin de se financer par la Bourse, qui, faut-il le rappeler, passe nécessairement par le respect des conditions de rectitude fiscale, de transparence et de bonne gouvernance. Actuellement, deux grands groupes privés ont opté pour ce choix. Il s’agit d’Alliance Assurances et le Groupe Biopharm.
Il y a un manque de culture financière en Algérie et beaucoup d’entreprises n’arrivent pas à se développer ou ne savent pas comment faire, est-ce que la Cosob envisage de lancer des campagnes d’informations, de vulgarisation et de sensibilisation sur les nouvelles mesures prises récemment, notamment en faveur des start-up, et surtout dans les zones d’ombre qui souffrent d’un manque d’accompagnement ?
Effectivement, durant l’année 2020, nous avons contribué avec le ministère délégué à l’Economie de la connaissance et des Start-up à la mise en place du dispositif réglementaire du nouveau mode de financement des start-up (cruwdfundig ou financement participatif). Considérant le contexte de la pandémie Covid-19, plusieurs ateliers de vulgarisation ont été organisés à l’adresse de ces entreprises à fort potentiel, notamment sur le processus de financement, les aides de l’Etat en matière d’accompagnement, à travers le compte d’affectation spécial, les exonérations fiscales etc .
La Cosob et l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) ont signé un accord en 2019. Concrètement, qu’a-t-il apporté à l’Algérie, y a-t-il eu des actions menées depuis ?
La signature du MultilateralMemorandum of Understanding (MMoU) avec l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a permis notamment à notre institution de mettre aux normes internationales le cadre juridique régissant les activités du marché financier algérien. Aussi, il faut rappeler que ce mécanisme d’échange d’informations vient compléter les autres mécanismes d’entre-aides judiciaires et d’échange d’informations déjà existants en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la corruption et la fraude transfrontalière. Dans ce cadre, il est important de souligner qu’à la faveur de cet accord, des échanges d’informations concernant la détention de titres financiers d’origine douteuse ont eu lieu avec nos homologues français, espagnol, belge, émirati, marocain…
A la faveur de cet accord, l’Algérie peut envisager d’ouvrir sa Bourse à l’investissement étranger, y a-t-il eu des actions dans ce sens ?
Effectivement, l’existence d’un tel accord permet à l’Algérie d’ouvrir sereinement sa Bourse à l’investissement étranger et attirer des investisseurs internationaux, du moment qu’il sera plus facile, grâce au MMoU, d’obtenir des informations sur l’origine des fonds investis et sur l’identité des investisseurs et des bénéficiaires effectifs. Sur cet aspect d’investissement en devises, il est urgent d’ouvrir l’investissement en portefeuille aux Algériens non-résidents avec des garde-fous en plafonnant par exemple les montants à souscrire à 2%, 5% ou 10%. Une telle mesure permettra au pays de récolter un apport en devises et facilitera à la diaspora son insertion dans les activités d’investissement de leur pays.
Le marché informel de la devise est une véritable plaie de l’économie nationale, comment, à votre avis, permettre à ce marché d’intégrer la sphère légale?
A priori, il est difficile d’avoir une appréciation précise sur les montants annuels transitant sur le marché informel des devises dans le pays. Il est clair que le marché informel des devises suit de près la dévaluation du dinar. Si ces devises flambent sur ce marché certainement parce que la demande demeure forte et que les citoyens veulent y investir, notamment ceux disposant de grands montants qui préfèrent avoir une épargne en euro plutôt qu’en dinar.
A mon avis, parmi les pistes et les mesures, à court terme, à engager pour venir à bout du marché informel des devises, ou du moins le freiner, il y a lieu de mettre en œuvre l’ajustement progressif du taux de change, le relèvement des plafonds indicatifs des montants de devises que les voyageurs peuvent emporter et l’assouplissement des restrictions aux importations.